Kenneth WHITE

Kenneth WHITE



La géopoétique est une théorie pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, qui a pour but de rétablir et d’enrichir le rapport homme-terre depuis longtemps rompu – avec les conséquences que l’on sait sur les plans écologique, psychologique, intellectuel et social, développant ainsi de nouvelles perspectives existentielles dans un monde ouvert, et Kenneth White en est la pensée, le processus vivant, la source d’énergie et le poète.

Né le 28 avril 1936 à Glasgow (Écosse), White s’est installé avec son épouse Marie-Claude, après avoir vécu en Ardèche, en Aquitaine et dans les Pyrénées, dans le Trégor en 1983, à Trébeurden, hameau de Champ-blanc (Côtes d’Armor), à l’entrée de la baie de Lannion : « Je me sens celte, mais contrairement à Renan, je ne sens pas la culture celte comme fondée sur l’imaginaire et repliée sur elle-même : je la sens au contraire ouverte au monde et en phase avec le cosmos, avec les éléments : que ce soit Chateaubriand, Renan lui-même, Céline (à moitié Breton) ou Segalen, les grands écrivains celtes le prouvent tous. J’aime la Bretagne, que je sens, non pas comme une région, mais comme un microcosme. J’en pars et j’y reviens suivant la dialectique entre errance et résidence. »

C’est, toujours en baie de Lannion que White s’oppose à un projet d’extraction de sable : « Ce projet est absurde, ubuesque. Et il n’est pas le seul de son espèce. Au nom de la croissance, tout le territoire français est menacé : En 2010, extraire 400.000 m3 de sable coquillier sur une dune de 4 km2, située à 6 kilomètres au large de Trébeurden, entre deux zones protégées par la convention Natura 2000, celle de la baie de Morlaix, celle de la Côte de Granit rose et l’archipel des Sept-Îles, une des plus belles réserves d’oiseaux marins migrateurs de la France et de l’Europe. » Dans sa maison baptisée Gwenved (« Monde blanc » en breton, « lieu d’existence dense et intense, lieu de concentration »), cet Écossais naturalisé Français (« La France, c’est mon premier pays. Je n’ai jamais vécu aussi longtemps au même endroit et je n’ai aucun désir d’aller vivre ailleurs ») et se disant « Écossais d’origine, Français d’adoption, Européen d’esprit, mondial d’inspiration », collectionne les terres, les océans, les pierres, les chemins, les vents et les brumes. Il aime marcher, se perdre, faire des rencontres.

White, ex-professeur de littérature anglo-américaine à Paris 7, puis à la Sorbonne de 1983 à 1996, a écrit en Bretagne la majeure partie de son œuvre, constituée de livres de poèmes, essais, récits de voyages. White, nomade intellectuel, n’accepte pas d’être enfermé dans une culture, une pensée ou une croyance. Il a voyagé d’un bout à l’autre du monde, toujours en quête de rencontres et d’une meilleure appréhension des cultures. Sa maison abrite également le siège social de son Institut international de géopoétique, fondé en 1989, que White décrit ainsi : « Ce qui marque cette fin du XXe siècle, au-delà de tous les bavardages et de tous les discours secondaires, c’est le retour du fondamental, c’est-à-dire du poétique. Toute création de l’esprit est, fondamentalement, poétique. Il s’agit de savoir maintenant où se trouve la poétique la plus nécessaire, la plus fertile, et de l’appliquer. Si, vers 1978, j'ai commencé à parler de « géopoétique », c’est, d’une part, parce que la terre (la biosphère) était, de toute évidence, de plus en plus menacée, et qu’il fallait s’en préoccuper d’une manière à la fois profonde et efficace, d’autre part, parce qu’il m’était toujours apparu que la poétique la plus riche venait d’un contact avec la terre, d’une plongée dans l’espace biosphérique, d’une tentative pour lire les lignes du monde. Depuis, le mot a été repris, ici et là, dans des contextes divers. Le moment est venu de concentrer ces courants d’énergie dans un champ unitaire. C’est pour cela que nous avons fondé l’Institut de géopoétique. Avec le projet géopoétique, il ne s’agit ni d’une « variété » culturelle de plus, ni d’une école littéraire, ni de la poésie considérée comme un art intime. Il s’agit d’un mouvement majeur qui concerne les fondements mêmes de l’existence de l’homme sur la terre. Dans le champ géopoétique fondamental, se rencontrent des penseurs et des poètes de tous les temps et de tous les pays. Pour ne citer que quelques exemples, on peut penser, en Occident, à Héraclite (« l’homme est séparé de ce qui lui est le plus proche »), à Hölderlin (« poétiquement vit l’homme sur la terre »), à Heidegger (« topologie de l’être »), à Wallace Stevens (« les grands poèmes du ciel et de l’enfer ont été écrits, reste à créer le poème de la terre »). En Orient, il faudrait penser au taoïste Tchouang-tseu, et à l’homme du vieil étang, Matsuo Bashô, sans oublier la belle méditation du monde que l’on trouve dans le Hwa Yen Sutra. Mais la géopoétique ne concerne pas que poètes et penseurs. Henry Thoreau était autant ornithologue et météorologue (« l’inspecteur de tempêtes ») que poète, ou plutôt, il incluait les sciences dans sa poétique. Les liens de la géopoétique avec la géographie sont évidents, mais ils existent aussi avec la biologie, et avec l’écologie (y compris avec l’écologie de l’esprit) bien approfondie et bien développée. En fait, la géopoétique offre un terrain de rencontre et de stimulation réciproque, non seulement, et c'est de plus en plus nécessaire, entre poésie, pensée et science, mais entre les disciplines les plus diverses, dès qu'elles sont prêtes à sortir de cadres souvent trop restreints et à entrer dans un espace global (cosmologique, cosmopoétique), en se posant la question fondamentale : qu'en est-il de la vie sur terre, qu'en est-il du monde ? Tout un réseau peut se tisser, un réseau d’énergies, de désirs, de compétences, d’intelligences. mouvement majeur qui concerne les fondements mêmes de l’existence de l’homme sur la terre. »

« Par-delà ce tumulte / qu’est vivre, aimer et mourir / le ciel soudain s’éclaircit / balayé par un grand vent blanc ». Kenneth White est décédé dans sa maison de Champ-blanc, dans la nuit du vendredi 11 août 2023, à l’âge de 87 ans.

Karel HADEK

(Revue Les Hommes sans Epaules).

 

Œuvres, Poésie : En toute candeur (Mercure de France, 1964), Scènes d’un monde flottant (Alfred Eibel, 1976), Terre de diamant (Alfred Eibel, 1977. Rééd. Grasset, 1983), Mahamudra (Mercure de France, 1979), Ode fragmentée à la Bretagne blanche (William Blake & Co, 1980), Le Grand Rivage (Nouveau commerce, 1980), Le Dernier Voyage de Brandan (Les Presses d’aujourd’hui, 1981. Rééd. Le Tailleur d'images, 1988), Prose pour le col de Marie-Blanque (L’Instant perpétuel, 1981), Scènes d’un monde flottant (Grasset, 1983), Éloge du corbeau (William Blake & Co, 1983), Atlantica (Grasset, 1986), L’Anorak du goéland (L’Instant perpétuel, 1986), Fragments d’un carnet de bord (Le tailleur d’images, 1989), Les Rives du silence (Mercure de France, 1998), Limites et marges (Mercure de France, 2000), Le Chemin du chaman (L’Instant perpétuel, 2002),  Onze vues des Pyrénées (Voix d’encre, 2002), Le Passage extérieur (Mercure de France, 2005), Un monde ouvert, anthologie (Gallimard, 2007), Territoires chamaniques (Héros-Limite, 2008), Les Archives du littoral (Mercure de France, 2011), Mémorial de la terre océane (Mercure de France, 2019).

Récits : Les Limbes incandescents (Denoël 1976), Dérives (Maurice Nadeau 1978. Rééd. Le Mot et le Reste 2017), Lettres de Gourgounel (Les Presses d’aujourd’hui 1979. Rééd. Grasset, 1986), Le visage du vent d’Est (Les Presses d’aujourd’hui 1980. Rééd. Albin Michel 2007), L’Écosse avec Kenneth White (Flammarion 1980), La Route bleue (Grasset 1983, prix Médicis étranger. Rééd. Le Mot et le Reste 2017), Les Cygnes sauvages (Grasset 1990. Rééd. Le Mot et le Reste 2018), Corsica : l’itinéraire des rives et des monts, illustrations de Jacqueline Ricard (Les Bibliophiles de France 1998. Rééd. La Marge 1999), La Maison des marées (Albin Michel, 2005), Le Rôdeur des confins (Albin Michel, 2006), La Carte de Guido : un pèlerinage européen (Albin Michel 2011), Les Vents de Vancouver : escales dans l'espace-temps du Pacifique Nord (Le Mot et le Reste 2014), La Mer des lumières (Le Mot et le Reste 2016), La traversée des territoires : une reconnaissance (Le Mot et le Reste 2017), L’archipel du songe : voyage transcendantal parmi les petites îles de l’Atlantique tropical (Le Mot et le Reste 2018), Entre deux mondes : autobiographie (Le Mot et le Reste 2021).

Essais : Approches du Monde Blanc (Nouveau Commerce, 1976), Segalen, Théorie et Pratique du Voyage (Alfred Eibel, 1979), La Figure du dehors (Grasset, 1982), Une apocalypse tranquille (Grasset, 1985), L’Esprit nomade (Grasset, 1987), Le monde d’Antonin Artaud (Complexe, 1989), Le Chant du Grand Pays (Terriers, 1989), Hokusaï ou l’horizon sensible (Terrain Vague, 1990), Le plateau de l’albatros : introduction à la géopoétique (Grasset, 1994),    La Danse du chamane sur le glacier (L’Instant perpétuel, 1996), Les Finisterres de l’esprit (Éditions du Scorff, 1998), Une stratégie paradoxale : essais de résistance culturelle (Presses universitaires de Bordeaux, 1998), Segalen et la Bretagne ((Blanc Silex, 2002), Le Champ du Grand Travail (Didier Devillez, 2003), Dialogue avec Deleuze (Isolato, 2007), Les Affinités extrêmes (Albin Michel, 2009).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes bretons pour une baie tellurique n° 57